KUNST

Le revêtement avant le revêtement

L’imaginaire de l’étoffe dans les Salons de Diderot
Marie Schiele

Table des matières

Résumé

Dans son ouvrage sur le style, Gottfried Semper a identifié la genèse conjointe de l’architecture et du textile à partir de ce qu’il nomme le principe de revêtement. Un siècle plus tôt, Diderot a élaboré un certain nombre d’analogies techniques entre arts textiles et peinture dans les Salons, critiquant ainsi la hiérarchie des arts. Sans considérer Diderot comme un précurseur artificiel de Semper, cet article met au jour les linéaments d’un imaginaire de l’étoffe, œuvrant à la subversion des normes artistiques, à la réorganisation des savoirs et au dialogue entre écriture philosophique et expérience vécue.

Mots-clés

imaginaire vestimentaire, imaginaire de l’étoffe, arts textiles, vêtement, étoffe, analogie entre les techniques, critique d’art, expérience esthétique

Texte

Il est douteux que la notion de revêtement accède au statut de principe chez Diderot au sens que Gottfried Semper lui donne dans sa tentative de penser la genèse comparée de l’architecture et du textile11La notion de revêtement (Bekleidung) ou de principe du revêtement (Bekleidungsprinzip) est théorisée par Semper. Voir Gottfried Semper, Der Stil in den technischen und tektonischen Künsten, oder Praktische Aesthetik. Ein Handbuch für Techniker, Künstler und Kunstfreunde, vol. 1, Frankfurt am Main, Verlag für Kunst und Wissenschaft, 1860 ; vol. 2, München, Friedrich Bruckmann, 1863.. Cependant, Diderot a recours au verbe « revêtir » selon les significations en usage à son époque, comme en témoigne la notice de l’Encyclopédie consacrée à ce terme22Denis Diderot, s. v. « Revêtir », in Denis Diderot et Jean le Rond d’Alembert (dir.), Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers par une Société de gens de lettres, vol. XIV, Paris, Briasson, David et Le Breton et Durand, 1765, p. 235a.. Revêtir admet plusieurs sens, à commencer par un sens moral, celui du don vestimentaire et un sens figuré, plus théâtral, pouvant aller jusqu’à désigner une présence outrancière, amplifiée par l’étoffe comme dans l’expression « se revêtir de sa gloire ». La courte présentation de Diderot se termine par une mention de l’architecture : on revêt une étoffe comme on revêt un mur, comparaison inscrivant le revêtement dans la catégorie plus générique de l’enveloppe ou de l’enduit, termes repris par le théoricien de l’architecture Jean‑François Blondel dans ses articles dédiés à la décoration ou l’aménagement des appartements33Jean-François Blondel, s. v. « Enduit », in Encyclopédie, op. cit., vol. V, 1755, p. 650b.. Ce parallèle, relativement commun, ne fait pas l’objet d’un traitement conceptuel particulier, au sens où il serait défini pour lui-même ou inséré dans un réseau notionnel plus vaste destiné à clarifier ou à résoudre un problème philosophique. De la même manière, Jaucourt, chargé de la plupart des textes relatifs à la parure et à la préparation du corps dans l’Encyclopédie, ignore l’association entre vêtement et architecture dans la notice qu’il consacre à l’habit et au vêtement : l’habit renvoie à des considérations techniques liées à la fabrication tandis que la description du vêtement est distribuée selon un traitement historique et culturel, et dans une certaine mesure théologique : aux vêtement des Hébreux succèdent les vêtements de Babylone, puis les vêtements des Chrétiens44Denis Diderot, s. v. « Vêtemens », in Encyclopédie, op. cit., vol. XII, 1765, p. 220b. Voir aussi Louis de Jaucourt, s. v. « Vêtement des Hébreux », « Vêtements de Babylone », « Vêtement des Chrétiens », in Encyclopédieop. cit., vol. XII, 1765, p. 220b-221b..

Discret dans l’Encyclopédie, ce parallèle entre vêtement et architecture suggérant la manière d’occuper un vêtement et aussi la façon de l’arranger et de se l’approprier, est réinvesti implicitement dans d’autres textes de Diderot qu’ils soient spéculatifs (Le Rêve de d’Alembert, les Éléments de physiologie) ou littéraires (le Paradoxe sur le comédien, les Salons), jusqu’à constituer un registre d’images récurrent, soit un ensemble cohérent de métaphores et de comparaisons, élargissant les perspectives d’interprétation d’un texte par des associations d’idées suggestives. L’image de l’araignée tisserande, modèle de l’existence humaine est fameuse et largement glosée55Denis Diderot, « Le Rêve de d’Alembert », in Œuvres Philosophiques, Paris, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 2010, p. 372-373., de même que le métier à tisser, métaphore du déploiement matériel de la pensée66Id., Éléments de physiologie, éd. Motochi Terada, Paris, Éditions Matériologiques, 2019, p. 130-131. Voir aussi le commentaire que propose Michel Delon de cette image : Michel Delon, « Métiers à tisser entre métaphore et modèle, de Diderot à Freud », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, no 52, 2017, p. 59-69.. Citons aussi les images sur la tapisserie, sur la teinture, sur les vêtements « collants », sans oublier sur le songe intriguant sur la robe de chambre et ses plis infinis. L’évocation d’une garde-robe aussi garnie soit-elle ne devient pas un principe théorique par elle-même.

Penser le revêtement avant le revêtement, c’est-à-dire les prémisses d’un principe de nature technico-matérielle à l’origine de certaines formes artistiques à partir d’indices disparates, peut sembler relever d’une gageure, et pour plusieurs raisons. Contrairement à Semper, Diderot ne produit pas de théorie systématique de l’art axée sur la genèse comparée des pratiques comme l’art textile et l’architecture. L’architecture est d’ailleurs absente des textes esthétiques diderotiens77Diderot annonce un ensemble de remarques dans « les Pensées détachées sur la peinture, la sculpture, l’architecture et la poésie pour faire suite aux Salons », de 1776, mais le texte est resté inachevé et ne traite que de la peinture. On entend par « Esthétique » l’ensemble des textes de Diderot dédiés aux arts et à la théorie du beau, parmi lesquels figurent les Salons, l’article « Beau » de l’Encyclopédie, mais aussi l’essai sur la poésie dramatique. Ces textes sont rassemblés dans des éditions thématiques des œuvres de Diderot. Voir par exemple, Denis Diderot, Œuvres, t. IV, Esthétique – Théâtre, éd. Laurent Versini, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1996.. Par ailleurs, l’intérêt de l’auteur des Salons pour le vêtement dans sa diversité, plutôt que pour le revêtement comme principe unificateur, fragilise encore le rapprochement avec Semper. Chez Diderot, chaque texte, en fonction de sa nature et de sa visée, décrit ou définit spécifiquement le vêtement ou tout objet apparenté, en juxtaposant comparaisons, expériences de diverse nature (observations, expérience vécue, expérience onirique ou encore esthétique), emprunts littéraires, considérations tirées de la vie courante, remarques techniques ou réflexions historiques. D’où l’ampleur du lexique convoqué, allant de mots génériques (vêtement, tissu, étoffe), insistant sur certaines qualités matérielles, à des exemples techniques (le drapé, le bas, le métier à tisser), en passant par des illustrations plus prosaïques de vêtements portés (la robe de chambre, le vêtement ample par différence avec le vêtement collant). Dans les ouvrages savants comme l’Encyclopédie, révoquant la distinction entre les beaux-arts et les arts appliqués, Diderot signe des notices exigeantes sur des objets de confection comme le bas88Denis Diderot, s. v. « Bas », in Encyclopédie, op. cit., vol. II, 1752, p. 98a-113b., tout en s’intéressant à quelques éléments de gestuelle plus marginaux, évoquant les arts textiles (froisser99Id., s. v. « Froisser », in Encyclopédie, vol. VII, 1757, p. 332b., revêtir). Les Salons bénéficient ponctuellement d’une telle érudition, par le biais d’analogies techniques circonscrites1010Sophie A. de Beaune, Liliane Hilaire-Pérez, Koen Vermeir (dir.), L’Analogie dans les techniques, Paris, CNRS Éditions, 2017, En particulier l’introduction, p. 7-55.. La diversité des points de vue adoptés sur le vêtement et l’élaboration continue des exemples, source d’effets de résonnance entre les textes, confèrent néanmoins un statut distinct à la référence vestimentaire. Plus qu’un énième registre d’images que Diderot affectionne, à l’instar du clavecin ou de la machine pensante1111L’image du clavecin est très présente dans l’œuvre de Diderot. Voir par exemple, Denis Diderot, Éléments de physiologie, op. cit., p. 314. Voir plus généralement Jacques Chouillet, « Le clavecin-philosophe », in Diderot : poète de l’énergie, Paris, PUF, 1984, p. 245-278. Sur la machine pensante, voir Denis Diderot, s. v. « Bas », in Encyclopédieop. cit., p. 98., le vêtement et plus généralement l’étoffe1212Pour éviter de surcharger l’article par une multiplication de qualificatifs, nous employons désormais vêtement et étoffe en un sens générique. Le vêtement se réfère de façon privilégiée à toute pièce de tissu portée ou enveloppant un corps et peut signaler une appartenance sociale (habit). L’étoffe, quant à elle, insiste davantage sur des aspects matériels et techniques. Elle désigne aussi bien la gamme de tissus (velours, soie, voile de coton, etc.), que le résultat d’opérations techniques émanant des arts textiles (tissage, teinture, tapisserie, tricot, etc.), que la chose dans toute son indécomposable matérialité. Dans les Salons, Diderot n’emploie pas le terme « tissu », si ce n’est en un sens métaphorique, comme « tissu de fausseté » (Salon de 1763, in Essais sur la peinture. Salons de 1759, 1761, 1763, éd. Gita May et Jacques Chouillet, nouv. éd. augmentée et corrigée, Paris, Hermann, 2007, p. 212). Il réserve ce terme à des considérations anatomiques et physiologiques. (Éléments de physiologie, op. cit., p. 381) Le terme textile, hormis dans l’expression « arts du textile » est absent des Salons., déterminent les coordonnées d’un imaginaire plus vaste et complexe, aux fonctions multiples, allant de la théorie à la critique jusqu’à l’affirmation d’un style philosophique. En d’autres termes, cet imaginaire est proprement opératoire, élevé en quelque sorte au rang de paradigme1313Diderot fait un usage paradigmatique de l’imaginaire de l’étoffe dans les Salons, dans la mesure où ce registre d’images constitue un étalon de la description des œuvres et de leur évaluation. En ce sens, l’imaginaire vestimentaire apparaît comme un modèle des arts, en particulier de la peinture, soit un moyen de décliner les normes artistiques par le biais d’images sensibles, en l’occurrence des tropes., c’est-à-dire de modèle théorique à partir duquel sont définis, organisés et évalués certains objets, certains phénomènes ou certaines expériences liés, au moins par analogie, à la relation primordiale entre vêtement et corps, à la relation entre vêtement et espace ou à la reconnaissance d’une parenté matérielle entre les choses, signifiée par exemple, par l’affirmation d’une unité « fibreuse » du monde1414Voir la fin de notre deuxième partie sur l’image de la fibre comme origine du texte comme du textile.. Sans chercher à reconstituer le principe sempérien et à considérer Diderot comme un précurseur de l’auteur de Der Stil, on s’attachera néanmoins à déterminer certaines conditions de possibilité de ce paradigme, largement tributaires d’un contexte encyclopédique et à définir certaines caractéristiques de l’imaginaire vestimentaire, soit des effets sensibles communs à l’étoffe et au vêtement, effets d’enveloppement et de dissimulation, effets de mises en espace du corps ou encore effets esthétiques. Ces effets multiples et récurrents de l’imaginaire vestimentaire traduisent en creux, selon nous, une pensée du vêtement et de l’étoffe, pensée non-systématique et non-conceptuelle, qui élucide néanmoins un certain rapport au réel. Dans la veine de l’intuition diderotienne décrite en préambule et en référence à Semper, nous nommons cette pensée, revêtement ou principe du revêtement. Le revêtement n’est ni l’étoffe, ni le vêtement, pas plus que leur usage figuré, relevant de l’imaginaire. Il s’apparente davantage au produit de deux facteurs : le vêtement ou l’étoffe portés et manipulés et la fonction explicative et réflexive de l’imaginaire, distillée par les connotations de l’image, déduites de l’analyse textuelle.

L’exemplarité de l’imaginaire de l’étoffe tient au moins à deux inflexions sur le plan épistémologique : la valorisation de la matérialité des choses et le privilège du toucher par rapport à la vue. Un tel imaginaire peut être reconstitué à la faveur d’une lecture des Salons, textes écrits sous la forme d’une correspondance entre 1759 et 1781. Dédiés principalement au commentaire des tableaux et des sculptures présentés au Louvre, les Salons bouleversent le genre de la critique, moins en raison de l’originalité du point de vue soutenu que par les moyens et les manières de le présenter. Le traitement des accessoires et la description des étoffes jouent un rôle fondamental à cette fin.

Au fil de la lecture, l’imaginaire de l’étoffe apparaît sous la plume de Diderot relativement à trois questions, correspondant aux trois moments de notre argumentation. La première question est de nature stylistique et concerne la modalité même de description des tableaux puis leur évaluation. Que retenir d’un tableau ? De quelle manière s’adresser à un lecteur au sujet d’œuvres plus ou moins bien retenues par la mémoire, œuvres que le lecteur des Salons n’aura pas le loisir de contempler ? Quels mots pour décrire des images qui font défaut ? Le privilège accordé à la sensibilité modifie considérablement l’appréciation du tableau. La tonalité poétique des textes le confirme1515Élise Pavy-Guilbert, « La langue poétique », in L’Image et la Langue. Diderot à l’épreuve du langage dans les Salons, Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 349-352.. La concordance entre l’image et l’histoire évoquée, ou encore la norme de vérité historique, sans être absolument délaissées, ne sont plus déterminantes. La relation au corps est préférée puisqu’elle favorise l’implication du lecteur. Dans une perspective rhétorique et stylistique, le principe du revêtement revient alors à convertir les éléments secondaires de l’œuvre en éléments majeurs sur le plan de l’écriture au sens où la description des vêtements comme des étoffes, des tentures comme des imprimés apparaît comme un relais particulièrement efficace et facile pour provoquer des émotions. En ce sens, toutes les mentions du vêtement et plus largement de l’étoffe, parce qu’elles ne se contentent pas de renvoyer aux fonctions usuelles de protection ou de distinction mais amplifient les états du corps, façonnent en retour le caractère suggestif de l’écriture diderotienne.

La deuxième question renvoie à l’importance de la technique, non pas simplement sur le plan terminologique, mais surtout sur le plan pratique et gestuel. Les Salons s’insèrent dans un ensemble textuel plus vaste et dense, notamment la rédaction des articles encyclopédiques. Dépourvus de visée programmatique aussi claire que l’Encyclopédie, les Salons annoncent néanmoins de façon discrète mais résolue quelques acquis de 1765, notamment le renversement d’une hiérarchie des arts par la reconsidération des arts mécaniques et l’ambition d’écrire un grand traité à leur sujet. Comme l’ont remarqué Anne-Marie Chouillet et Florence Boulerie, la place grandissante d’un vocabulaire technique est indéniable dans les textes que Diderot consacre à la peinture et à la sculpture1616Anne-Marie Chouillet, « Le vocabulaire de la couleur », in Diderot, les beaux-arts et la musique : actes du colloque international tenu à Aix-en Provence le 14, 15 et 16 décembre 1984, Aix, Université de Provence, 1986, p. 55-65. Florence Boulerie, « Diderot et le vocabulaire technique de l’art : des premiers Salons aux Essais sur la peinture », Diderot Studies, t. 30, 2007, p. 89-111.. Mais ce vocabulaire ne se limite pas à la maîtrise d’un lexique de l’atelier. Au contraire, Diderot insiste, à la faveur de comparaisons et de descriptions précises, sur les procédés de fabrication et les réalisations d’autres arts, notamment les arts textiles selon la taxinomie retenue dans l’Encyclopédie. Dans ce cas, tout se passe comme si, par le seul acte de lecture, les planches illustrées de la tapisserie ou de la teinture faisaient irruption au beau milieu des Chardin et des Van Loo. Tout se passe comme si, ces incises techniques opéraient un élargissement de la représentation, au double sens d’une interprétation à nouveaux frais de la peinture comme une superposition d’éléments provenant d’horizons différents, suggérant à demi-mot le caractère exemplaire des arts textiles. Mais à quel titre ? En quoi la représentation des arts mécaniques permet-elle l’intelligibilité d’une œuvre d’art ? En ce qu’elle déplace une nouvelle fois les façons d’aborder l’élaboration de l’œuvre. On peut en faire l’hypothèse et ce serait là une deuxième fonction du principe du revêtement déduit des Salons de Diderot, visant l’entrelacement des techniques.

Enfin, la troisième question traite plus frontalement des façons d’occuper un vêtement. Le vêtement porté ne se laisse pas connaître de la manière dont le veut l’Encyclopédie, par succession de notices et par profusion de détails érudits, tirés des livres d’histoire ou de théologie. Pris entre deux extrêmes, comme produit d’une « mécanique des métiers » et objet indistinct de l’intimité, si proche de soi qu’il est délicat de discourir à son sujet à moins de le théâtraliser, il engage nécessairement une relation singulière qui met à l’épreuve l’épistémologie des Lumières, reposant sur la définition du fonctionnement des choses par la décomposition des étapes de fabrication. L’idée de revêtement nous renseigne en dernier lieu sur les procédés littéraires opérant la matérialisation de ce que l’on porte, étroitement liée aux façons de représenter et d’évoquer le cheminement de la pensée. Aussi, le caractère flottant des Regrets sur ma vieille robe de chambre, texte inclassable dans son fond, mais rattaché par sa forme aux Salons, par la description de la robe de chambre, sorte de figure récurrente qui enveloppe les Salons, sert d’image médiatrice conclusive.

En abordant successivement ces trois questions, cet article se donne un double objectif : celui de mettre en évidence l’influence d’un imaginaire de l’étoffe à partir d’une analyse stylistique des textes, en insistant sur les métaphores et comparaisons formulées par Diderot ; celui de réévaluer l’importance de certains textes dans le corpus diderotien en explicitant l’idée d’un « revêtement avant le revêtement », formule spéculative, qui aide à penser l’effet d’images vestimentaires sur la conception de l’expérience esthétique.

Le revêtement n’est pas le costume

Braver la loi du costume

« Que voulez-vous que je vous dise du costume ? Il serait choquant de le braver à un certain point ; il y aurait plus souvent de la pédanterie et du mauvais goût à s’y assujettir à la rigueur1717Denis Diderot, Essais sur la peinture, in Essais sur la peinture. Salons de 1759, 1761, 1763, op. cit., p. 63. Toutes les citations de Diderot sont extraites de la version Hermann, établie d’après l’édition de référence Dieckmann-Varloot (DPV).. » Le traitement du vêtement dans les Salons de Diderot semble résolu par cette formule des Essais sur la peinture. Encadrée par le respect d’une certaine convenance d’une part, par le risque d’effusion d’autre part, la représentation du vêtement et plus largement des étoffes obéit aux règles valables pour l’accessoire. Pas d’excès, ni de bizarrerie outrancière : « l’expression se fortifie merveilleusement par ces accessoires légers qui facilitent encore l’harmonie1818Ibid., p. 50-51. ». Seule la présence de transitions difficiles, de passages malhabiles dans la langue de Diderot, transforme les accessoires légers et harmonieux en de « faux-accessoires1919L’expression de « faux-accessoires » est de Diderot. Voir Denis Diderot, Salon de 1761, in Essais sur la peinture. Salons de 1759, 1761, 1763, op. cit., p. 125. », indices « d’idées trop petites2020Ibid. » et en définitive, du talent tout relatif du peintre. En transposant la question du costume à celle de l’accessoire, Diderot déroge quelque peu à la tradition académique2121Pour un exemple d’application de la loi du costume dans les Salons, voir Denis Diderot, Salon de 1761, op. cit., p. 155.. Dans les Conférences de l’Académie de peinture et de sculpture, le costume ou la loi du costume désigne la manière de vêtir sans affection (Henry Testelin) et peut s’apparenter à un étalon du jugement (Louis de Boullogne). Roger de Piles est plus précis. Dans l’addendum à l’Art de la Peinture de Dufresnoy, le costume

est un terme que l’on emploie pour signifier la convenance de chaque chose, par rapport au temps et au lieu où l’on suppose que l’histoire que l’on représente est arrivée. Ainsi faire les choses selon le costume, c’est faire connaître par quelque chose d’ingénieux les lieux où l’on met la scène du tableau, les pays d’où sont ceux que l’on y fait apparaître, leurs façons de faire, leurs coutumes, leurs lois, en un mot tout ce qui peut leur convenir2222Roger de Piles, « Explications des termes de peintures nécessaires », in Charles-Antoine Dufresnoy, L’Art de la peinture (1668), Paris, Nicolas L’Anglois, 1751, p. 324-325. Voir aussi Abbé du Bos, Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture (1719), Paris, E.N.S.B.A. Éditions, 2015. La définition de l’Abbé du Bos sera reprise par Jaucourt dans l’Encyclopédie. Dans cette dernière notice, Jaucourt relie explicitement la « règle du costumé » avec la peinture érudite destinée aux artistes savants dont Nicolas Poussin serait le représentant exemplaire. Le rapport entre peinture et connaissance incarné par le doctus pictor est relativement délaissé par Diderot à la faveur du sentiment. Voir Philip Stewart, Invention du sentiment : roman et économie affective au XVIIIe siècle, Oxford, Voltaire Foundation, 2010, p. 2..

Diderot, à l’inverse, ne retient pas systématiquement les détails géographiques ou les preuves d’un certain « génie des mœurs » comme relevant du costume. En cela, il dissocie partiellement ce principe de l’exigence de vérité historique2323En un sens, Diderot superpose costume et vêtement en se concentrant sur la restitution visuelle des effets matériels de l’étoffe. S’il lui arrive de juger d’un tableau à partir de sa vraisemblance ou de sa vérité historique, la règle du costume n’est pas nécessairement mentionnée littéralement. C’est plutôt l’expression de l’harmonie qui est visée. et d’une forme d’abstraction. Lorsqu’il mentionne le costume dans la suite des Essais sur la peinture, il est question de drapé à l’antique et « des Grecs comme maître des beaux-arts », mais l’appréciation de la représentation vestimentaire n’est plus rivée à une quelconque fidélité du peintre au passé, pas plus qu’elle ne résulte d’une correspondance entre détail vrai et savoir livresque de l’artiste. Au contraire, le costume, pleinement identifié avec le vêtement, c’est-à-dire avec une chose matérielle, traduit les mœurs contemporaines, soit les pratiques d’habillement et le rapport au corps, propre au XVIIIe siècle, entre fausse pudeur et interrogation sur la liberté vestimentaire2424Pour une synthèse des enjeux de la mode au siècle des Lumières, voir le catalogue Adeline Collange-Pèrugi, Pascale Gorguet-Ballesteros (dir.) À la mode : l’art de paraître au 18e siècle, cat. exp. (Musée des Beaux-Arts de Nantes et Musée des Beaux-Arts de Dijon), Gand, Éditions Snoeck, 2021. Voir aussi Catherine Lanoë, Les ateliers de la parure. Savoirs et pratiques des artisans en France XVIIe – XVIIIe siècles, Ceyzérieu, coll. « Époques », Champ Vallon, 2024.. Dans un article sur l’importance de la vestale et de ses atours au XVIIIe siècle, Michel Delon associe cette figure à une « métaphore transparente » qui, par le truchement de l’Antiquité romaine, permet une critique acérée des valeurs, soutenues notamment par les institutions catholiques2525Michel Delon, « Mythologie de la vestale », Dix-huitième siècle, no 27, 1995, p. 159-170. : « L’altérité du passé a pour fonction de dénoncer les aspects les moins supportables du présent aussi bien que d’exprimer ses inquiétudes sourdes2626Ibid., p. 159.. » Réminiscence antique, le drapé de la vestale met en lumière le statut contrasté du corps féminin, entre objet de séduction et de restriction. Un tel élément critique et dans une certaine mesure idéologique, est également relayé par le drapé chez Diderot, plutôt de manière esthétique d’ailleurs :

Des figures nues dans un siècle, chez un peuple, au milieu d’une scène, où c’est l’usage de se vêtir, ne nous offensent point. C’est que la chair est plus belle que la plus belle des draperies. C’est que le corps de l’homme, sa poitrine, ses bras, ses épaules, c’est que les pieds, les mains, la gorge d’une femme sont plus beaux que toute la richesse des étoffes dont on les couvrirait2727Denis Diderot, Essais sur la peinture, op. cit., p. 63..

La fixation autour du thème de la chair est sensible : le drapé révèle en définitive la chair représentée plus qu’il ne cache la nudité. Dans ce contexte, revêtir prend un autre sens, différent de la protection comme de la dissimulation mais bien plus proche de l’expression2828Sur le rapport entre composition et expression et plus généralement entre principes de la peinture et discours, voir Élise Pavy-Guilbert, L’Image et la Langue, op. cit.. Pouvoir d’expression qui apparaît d’autant plus vif lorsque l’on compare les propos de Diderot aux notices sur le vêtement dans l’Encyclopédie. Le vêtement « sert à couvrir le corps, à l’orner, ou le défendre des injures de l’air2929Denis Diderot, s. v. « Vêtemens », in Encyclopédie, op. cit., vol. XVII, p. 220b. ». Et Jaucourt énonce ensuite les parties du vêtement (culotte, chapeau, bas, habit, veste) avant de détailler trois types vestimentaires, moins à partir d’une perspective chronologique et visuelle, selon le modèle des recueils de costume propres aux artistes, qu’à partir d’une glose des textes sacrés, inscrivant la description des vêtements dans la veine d’une histoire ecclésiastique ou d’une exégèse. À l’inverse, Diderot ignore toute mention de cette culture, à l’exception de la culture grecque, et rejette toute forme d’érudition superflue relative au vêtement, sans pour autant renier un esprit encyclopédique comme on le verra dans la deuxième partie. Nulle trace de typologie savante sous sa plume. Nulle trace d’himation, de chiton et autre toge. Il inscrit, au contraire, le vêtement dans un registre stylistique différent à la faveur de comparaisons, dont l’une, étonnante, clôt le paragraphe dédié au vêtement grec : « C’est que les figures à demi nues dans une composition, sont comme les forêts et la campagne transportées autour de nos maisons3030Denis Diderot, Essais sur la peinture, op. cit., p. 63.. »

Revêtir ou l’art des bordures

Le lien entre vêtement et nature, ou plus précisément drapé et nature, rejoue en apparence une forme de mythologie des origines. Par sa simplicité, le drapé rappelle l’enveloppe primitive et sa mise négligée le rapproche de la nudité, d’une nudité originaire et idéalisée. Mais c’est une nudité esthétisée que Diderot décrit, et à ce titre plutôt le nu ou le demi-nu. Le rapprochement avec la nature s’éclaire. Dans l’éloge du drapé, faire-valoir de la chair, il y a peut-être quelque chose d’une recherche de la pastorale ou du style champêtre, mais l’indication métonymique de la forêt ou de la campagne autour des maisons insiste en creux sur la rencontre de la nature et de l’architecture de laquelle résulte l’art des jardins. Diderot n’intègre pas en tant que tel le drapé à l’art des jardins dans un jeu de catégories destiné à établir la valeur de chaque discipline à la manière de Kant3131Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, trad. fr. Alain Renaut, Paris, GF Flammarion, § 51, p. 306-307.. Drapé et art des jardins partagent en revanche une même visée, concrétisée par un élément commun qu’est la bordure, celle de briser la monotonie : ici, d’un corps absolument nu, anatomique et par conséquent insignifiant3232Sur le corps anatomique et insignifiant, en particulier sur la figure de l’écorché, voir Morwena Joly, La leçon d’anatomie. Le corps des artistes de la Renaissance au Romantisme, Paris, Hazan, 2008, p. 51. ; là d’une nature trop modeste ou trop travaillée, insipide par ses lignes droites ou gâtée par « les frisures et les pompons3333Louis de Jaucourt, s. v., « Jardin », in Encyclopédie, op. cit., vol. VIII, 1765, p. 459a. » de compositions frivoles et sans style. En définitive, le vêtement ou le demi-vêtement est un art des bordures, qualité partagée tant avec l’architecture qu’avec l’art des jardins, c’est-à-dire un art de la ligne, des lignes serpentines ou brisées3434Sur l’esthétique de la ligne brisée chez Diderot, voir Nathalie Kremer, « Les lignes brisées de l’art. Diderot et Baudelaire devant la peinture », Nouvelle revue d’esthétique, no 25, 2020, p. 145-153.. Des lignes qui orientent et conduisent le regard ou bien qui le surprennent parce qu’elles s’interrompent et ménagent des effets de surprise. Dans un article sur l’esthétique des jardins et l’opposition entre culture française et culture anglaise, Jean Erhrard note une transformation du goût au XVIIIe siècle marquée par la préférence accordée au jardin champêtre puisqu’il brise la monotonie et la géométrie d’un « ordre trop visible qui doit sans doute moins au hasard et à la négligence qu’à un art subtil, art de la fantaisie et du mouvement3535Jean Ehrard, « Nature et jardins dans la pensée française du XVIIIe siècle », Dix-huitième siècle, no 27, 2013, p. 365-377. ». Une telle définition est aisément transposable au drapé. La recherche de la vérité du costume grec est vaine et stérile. Elle s’apparente à ce que Diderot nomme « une forme de barbarie », celle qui fige le vêtement en un costume, mais dans son acception péjorative cette fois, au sens de mascarade ou de masque ostentatoire, soit une tournure « ridicule et gothique », car pensée sans ligne et sans mouvement. Cette théâtralisation du vêtement rejoint encore la critique de l’habit trop « collant », sans ampleur, qui « mannequine le corps3636Sur la valeur du mannequin chez Diderot, voir Marie-Irène Igelmann, « La métaphore du mannequin chez Diderot », Lumières, no 31, Diderot et les simulacres humains. Mannequins, pantins, automates et autres figures, dir. Aurélia Gaillard et Marie-Irène Igelmann, 2018, p. 109-131. », c’est-à-dire qui le découvre complètement plutôt que de le suggérer avec subtilité en ménageant une place à l’imagination.

Le revêtement diffère de la dissimulation ou de la protection. Il ne recouvre pas la nudité du corps mais fait apparaître le nu ou le demi-nu, le corps dans sa dimension esthétique. Le revêtement exprime plutôt qu’il ne révèle la chair, tant sur le plan matériel par un jeu de couleurs, d’effets et de nuances que sur le plan formel en restituant le mouvement charnel et les effets d’animation par les jeux de lignes. La fonction opératoire du revêtement dépasse encore son statut d’accessoire de la représentation mais tient à son ambivalence, amplifiée par l’écriture figurée de Diderot. Malléable et ductile comme l’étoffe, l’évocation du revêtement est le ferment de tropes et de figures suggérant par les comparaisons variées, notamment avec la nature, des transformations multiples, notamment celle du passage de l’inerte au vivant selon une reprise du mythe de Pygmalion et un réinvestissement d’idées matérialistes. Et cette métaphore est filée et touche l’art lui-même, plus particulièrement l’art de la peinture. Selon une mise en abyme courante chez Diderot, la toile désigne de façon ambivalente l’étoffe dont on revêt le corps comme la toile sur châssis qui recueille la pâte picturale, la matière de la peinture, révélant cet art pour ce qu’il est — une technique — et la part fascinante qui l’entoure, sa magie.

Revêtir ou le refus de l’imprimé

Entre la ligne et la couleur, entre les effets de matière, les nuances et le serpentement des lignes, Diderot refuse un esprit exclusif tout en précisant, souvent par satires interposées, les limites d’une bonne conception du pittoresque, de ce qu’il est convenable de représenter, de ce qui fortifie l’esprit de la peinture en tant que tel. Le linge, s’il admet quelques plis, s’il tire sa force expressive des rides et des multiples déformations doit néanmoins rester uni, c’est-à-dire sans motif. L’imprimé contrarie Diderot et suscite une critique sans appel. On lit à propos du portrait de Madame de Pompadour réalisé par Van Loo ceci :

Figure 1. François Hubert Drouais, La marquise de Pompadour en manchon, 1763, huile sur toile, 63,5 × 53 cm, Musée des Beaux-Arts d’Orléans.

C’en est un autre de Madame de Pompadour plus droit et plus froid ; un visage précieux ; une bouche pincée ; de petites mains d’un enfant de treize ans ; un grand panier en éventail ; une robe de satin à fleurs bien imité, mais d’un mauvais choix. Je n’aime point en peinture les étoffes à fleurs. Elles n’ont ni simplicité ni noblesse. Il faut que les fleurs papillotent avec le fond qui, s’il est blanc surtout, forme comme une multitude de petites lumières éparses. Quelque habile que fût un artiste, il ne ferait jamais un beau tableau d’un parterre, ni un beau vêtement d’une robe à fleurs3737Denis Diderot, Salon de 1759, in Essais sur la peinture. Salons de 1759, 1761, 1763, op. cit., p. 90. À notre connaissance, aucune reproduction de ce tableau n’a été répertoriée. François Hubert Drouais a peint un portrait de Madame de Pompadour habillée d’une robe à fleurs mais ce tableau est légèrement postérieur au Salon de 1759 : François Hubert Drouais, La marquise de Pompadour en manchon, huile sur toile, 63,5 × 53 cm, 1763, Musée des Beaux-Arts d’Orléans.

De façon simplifiée, la critique des vêtements à motifs, en particulier des vêtements à fleurs, rejoint celle des accessoires excessifs car trop démonstratifs. La robe à fleurs apparaît en ce sens-là comme la représentation miniature d’un paysage sans âme3838Sur la théorie du paysage chez Diderot, voir Philippe Déan, « Diderot, la figure et le lieu : de la théorie du paysage aux pastorales de Boucher », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, no 25, 1998, p. 41-73, en particulier p. 45., produit d’un déséquilibre entre les motifs et le fond, relançant inutilement l’attention en forçant en quelque sorte la diversion visuelle. Au même titre que le « costume ridicule et gothique » d’un drapé sophistiqué, la robe à fleurs relève des « faux-accessoires. », du bariolé plutôt que du génie des couleurs. Le vêtement est déclaré linge pittoresque précisément à condition qu’il œuvre comme bordure et non comme sujet exubérant. Il revient donc à l’artiste de trouver la variété recherchée, non dans l’ornementation explicite mais dans l’art des transitions ou des passages, facilitées par la maîtrise des lignes. C’est là une autre critique portée à la règle du costume. Le principe du revêtement diffère du costume comme témoignage des mœurs passés dont il en restituerait l’essence, en instaurant des correspondances judicieuses entre les dimensions du tableau : entre le milieu et l’allure des figures, entre les gestes et l’histoire représentée. Le revêtement diffère aussi d’une transposition des modes contemporaines. Si le revêtement agit telle une métaphore transparente, il n’est pas pour autant la représentation littérale du goût d’une époque dont Diderot, par ses remarques tranchées, souligne peut-être déjà la désuétude. Il insère au contraire une forme d’altérité dans le temps présent. À l’époque d’un engouement non démenti pour les indiennes et les pékins de Chine, engouement incarné par Madame de Pompadour elle-même3939La critique des robes aux motifs imprimées est-elle une critique adressée ? Malgré l’interdit royal destiné à réguler le marché du textile et à renforcer la production française, Madame de Pompadour obtint une autorisation d’importation des indiennes précisément en 1759. Voir Aziza Gril-Mariotte, « Indiennes, toiles peintes et toiles de Jouy, de nouvelles étoffes d’ameublement au XVIIIe siècle », Histoire de l’art, no 65, 2009, p. 141-152. Voir en particulier les remarques introductives p. 141. Voir aussi id., Des étoffes pour le vêtement et la décoration. Vivre en indiennes – France (XVIIIe – XIXe siècle), Rennes, PUR, 2023., à l’époque d’un essor industriel, par ailleurs défendu par l’auteur des Salons dans ses écrits politiques, la réserve de Diderot étonne. Diderot ne cède pas à une mode et juge sévèrement la présence d’imprimés à partir d’une confusion entre « revêtement » d’intérieur et « revêtement » corporel. Ce ne sont pas les toiles imprimées, garnies de fleurs et autres motifs qui peuvent célébrer le corps et sa dimension sensible. Piètres peintures, elles ne valent guère mieux qu’une tapisserie. En définitive, c’est peut-être cette confusion entre décoration intérieure et embellissement expressif que Diderot refuse. De là à nier toute forme d’expressivité à la tapisserie, et plus largement aux arts mécaniques par la reconduction implicite d’une hiérarchie des pratiques ?

Le revêtement comme loi commune entre les arts ? « Mécanique des métiers » et peinture

Un exemple ambivalent : la tapisserie

Figure 2. « Tapisserie de haute-lisse des Gobelins, Plan et Perspective de l’Attelier des Métiers, et différentes Opérations », Radel et Benard, gravure sur cuivre. Denis Diderot et Jean le Rond d’Alembert (dir.), Recueil de planches sur les sciences, les arts libéraux, et les arts méchaniques, avec leur explication, vol. IX, Paris, Briasson, 1771, « Tapisserie de haute-lisse des Gobelins », planche I.

« Avec tout cela mon ami, de quoi faire une belle tapisserie4040Denis Diderot, Essais sur la peinture, op. cit., p. 146.. » Signalant les défauts de composition ou le manque d’idée du peintre, la comparaison avec la tapisserie met en lumière les différents registres de la plume ironique de Diderot4141La plupart des arts mécaniques sont ainsi détournés par Diderot tout au long des Salons et prennent une tournure péjorative. Voir par exemple la comparaison entre la technique de Boucher et celle de l’émail de Limoges ; Denis Diderot, Salon de 1763, op. cit., p. 195 : « Mais la couleur ? Pour la couleur, ordonnez à votre chimiste de vous faire une détonation ou plutôt une déflagration de cuivre par le nitre, et vous la verrez telle qu’elle est dans le tableau de Boucher. C’est celle d’un bel émail de Limoges. ». Tapisserie et peinture ne se définissent guère par les mêmes usages et à ce titre, Diderot proscrit toute visée décorative de la peinture, sans condamner pour autant la décoration de façon absolue. Diderot a visité de nombreuses collections privées, exposées dans des appartements ou des galeries d’apparat, où le décorum — moulures, stuc, tentures — participe pleinement à la mise en valeur des œuvres. Il a arpenté les Salons à de nombreuses reprises avec son ami Chardin pour prendre la mesure de ses talents de tapissier4242Dans le langage des Salons, le tapissier désigne celui qui disposait les tableaux sélectionnés pour être exposés au Louvre. Chardin a occupé cette charge. Voir Isabelle Pichet, Le Tapissier et les dispositifs discursifs au Salon (1750-1789). Expographie, critique et opinion, Paris, Hermann, 2012.. Il connaît les effets du voisinage des peintures4343Denis Diderot, Salon de 1765, éd. Else Marie Bukdahl et Annette Lorenceau, Paris, Hermann, 1984, p. 74 : « Chardin qui a été cette année ce qu’ils appellent le tapissier, à côté de ces deux misérables esquisses en a placé une de Greuze qui en fait cruellement la satire. C’est bien le cas du malo vicino. », les dialogues silencieux des toiles, mais ces installations et ces arrangements échappent au décoratif. En fait, l’usage décoratif de la peinture, employée pour recouvrir un mur ou l’orner, répond à une autre fin, qui est moins la satisfaction personnelle, celle de l’âme, que « la gaîté d’un appartement4444Denis Diderot, Salon de 1761, op. cit., p. 148.. ». Et ce changement de perspective — de l’appréciation de la peinture pour elle-même à son usage social — transforme de ce fait la formulation du jugement esthétique. Pour le dire en des termes actuels — et le choix du terme de « gaîté » n’est pas anodin, là où Kant écrira plutôt « harmonie » par exemple4545Dans la Critique de la faculté de Juger au paragraphe 51, Kant s’intéressera également aux arts décoratifs, mais pour les inclure dans une définition élargie de la peinture. La dimension technique de ces pratiques est ignorée au profit de leur caractère intellectuel. En effet, le bel arrangement des meubles ou des toilettes féminines résulte d’une intention, ou d’un souci d’harmonie, objets du jugement esthétique désintéressé. Ce n’est pas le point de vue de Diderot. Voir Paolo Quintili, « Le matérialisme technologique de Diderot, descripteur d’arts et métiers », Archives internationales d’histoire des sciences, vol. 59, no 162, 2009, p. 173-184. — l’accent mis sur le registre des passions signale la projection de la sensibilité sur l’espace occupé, l’extériorisation de soi dans un milieu pensé et arrangé avec soin. Proprement anachroniques, les termes d’« ambiance» ou d’ « atmosphère » sont encore inadéquats, impertinents au regard de ce que vise Diderot. Car ne n’est pas un impalpable, un fluide ou encore un ensemble vibratoire, au sens figuré, que Diderot conçoit, mais plutôt l’effet de l’occupation des choses sur la perception de l’espace. L’espace ainsi vécu ne saurait être un milieu abstrait et vide, un réceptacle en puissance, mais bien un entrelacement, un tissu de choses ou encore un réseau homogène et continu, indivisible par définition4646Sur la conception ambivalente de l’espace chez Diderot, voir François Pépin, « L’espace chez Diderot », in Thierry Paquot et Chris Younès (dir.) Espace et lieu dans la pensée occidentale de Platon à Nietzsche, Paris, La Découverte, 2012, p. 185-202. Sur l’usage de la métaphore textile, dans d’autres textes que les Salons, notamment dans « le Rêve de d’Alembert », voire Caroline Jacot Grapa, « Le moi-araignée du rêve de D’Alembert », in Dans le vif du sujet. Diderot, corps et âme, Paris, Classiques Garnier, 2009, p. 291‑321.. En confrontant l’usage de la tapisserie dans les Salons à l’article « Meuble » de l’Encyclopédie, on retrouve bien la fonction initiale de la tapisserie comme relevant des « choses », des « choses que l’on déplace » et qui servent « à garnir les maisons. » Dans un ouvrage dédié aux conceptions du corps chez Diderot, Caroline Jacot Grapa rappelle l’importance d’une civilisation matérielle structurée sur le plan théorique par la « concurrence entre la chose et l’objet ». La première, la chose, a la préférence de Diderot au regard du second, l’objet, en raison de sa consistance matérielle « qui signifie l’intimité des hommes et des femmes4747Caroline Jacot Grapat, Dans le vif du sujet. Diderot, corps et âme, op.cit., p. 210. » et qui conserve la trace de gestes, de pratiques et d’attitudes propres à certaines expériences4848Sur l’importance des choses au siècle des Lumières, voir l’essai de Anne Perrin Khelissa intitulé Luxe intime. Essai sur notre lien aux objets précieux, Paris, Éditions du CTHS, 2020.. Loin d’être définitive, la comparaison avec la tapisserie concerne les tableaux dont il n’y a pas grand-chose à dire, comme si le manque d’habileté du peintre, ses choix controversés de composition appelaient le truchement d’un métier pour saisir la grossièreté de la réalisation. Diderot joue avec les préjugés de la société de goût à laquelle il participe, préjugés qu’il retourne comme pour mieux révolter ses contemporains4949Employé ici comme un synonyme de révolution, le terme est un emprunt au titre de l’ouvrage de Stéphane Lojkine sur les Salons intitulé L’Œil révolté. Lojkine détaille les enjeux politiques du goût diderotien et les stratégies discursives à l’œuvre pour opérer cette révolte du goût : Stéphane Lojkine, L’Œil révolté. Les Salons de Diderot, Paris, Jacqueline Chambon / Arles, Actes Sud, 2007..

En effet, en lisant attentivement les Salons, d’autres usages métaphoriques de la tapisserie peuvent être relevés, lesquels échappent au refrain satirique jusque-là familier. En suivant les analyses de Florence Boulerie, on remarque une concentration de ces métaphores dans les Salons intermédiaires, ceux de 1763-1765, précisément ceux qui témoignent d’une « technicité accrue5050Florence Boulerie, « Diderot et le vocabulaire technique de l’art », op. cit., p. 89-111. » en raison de l’usage récurrent et consommé d’un vocabulaire spécifique de l’art. Et cette particularité stylistique va de pair avec un intérêt croissant de Diderot pour le traitement de la couleur et le clair-obscur, là où dans les Salons précédents, il s’était concentré sur l’alliance de la composition et de l’expression5151Ibid., p. 94-95.. L’adoption d’un tel lexique est ambivalente. Car comme le remarque encore Florence Boulerie, l’usage méthodique d’une terminologie adéquate, les connotations savantes de termes comme « empâté, moelleux, heurté », affinent la perspicacité du jugement de Diderot mais l’ennuient tout autant. Indissociables des normes académiques, limitant les efforts du regard comme les potentialités de l’écriture, l’usage du jargon bride encore la poésie du style, fondée sur la recherche de l’expression singulière et frappante. Dans ce contexte, la description de « la mécanique des métiers5252Denis Diderot, Essais sur la peinture, op. cit., p. 66. » ouvre une nouvelle perspective sur l’appréciation des œuvres en relançant l’écriture par le caractère suggestif de parallèles inédits. Ut pictura textilis ? La peinture, un textile comme un autre ?

Entre l’art de la teinture et l’art des pigments, une loi commune ?

L’insistance positive de Diderot sur les gestes méticuleux propres aux arts textiles empêche de les interpréter exclusivement comme participant d’un portrait à charge du peintre barbouilleur et tâcheron, comme si l’évocation des arts mécaniques s’apparentait nécessairement à une contrefaçon de l’art, sous-entendu de l’art libéral. Pour autant, de tels exemples ne conduisent pas explicitement non plus à une meilleure compréhension de l’exercice de la peinture, si ce n’est par des correspondances allusives. Diderot note ainsi au sujet de l’arrangement des couleurs que « la loi d’un bon teinturier » est celle que doit également observer le peintre :

L’ombre d’un corps bleu prend une nuance de bleu. Et les ombres et les corps reflètent les uns sur les autres. Ce sont ces reflets infinis des ombres et des corps qui engendrent l’harmonie sur votre bureau où le travail et le génie ont jeté la brochure à côté du livre, le livre à côté du cornet, le cornet au milieu de cinquante objets disparates de nature, de forme et de couleur. Qui est-ce qui observe, qui est-ce qui connaît, qui est-ce qui exécute, qui est-ce qui fond tous ces effets ensemble, qui est-ce qui en connaît le résultat nécessaire ? La loi en est pourtant bien simple, et le premier teinturier à qui vous portez un échantillon d’étoffe nuancée, jette la pièce d’étoffe blanche dans sa chaudière, et sait l’en tirer teinte comme vous l’avez désirée. Mais le peintre observe lui-même cette loi pour les couleurs, une loi pour la lumière, une loi pour les ombres ; c’est partout la même5353Ibid., p. 32.

Si Diderot semble reconnaître la technique de la teinture comme le modèle pratique de l’obtention des couleurs — l’emploi du terme « nuancée », à propos du textile le laisse encore entendre — il ne reprend pas à son compte le détail de l’obtention des teintes, pas plus que les techniques de trempage, fruit des expériences du Père Castel avec le ruban coloré, ou encore la variété des substances tinctoriales énoncées par Jaucourt dans l’Encyclopédie. L’auteur des Salons ne prend pas non plus la peine de nommer une à une les nuances, dont les qualificatifs énumérés dans l’Encyclopédie paraissent pourtant éloquents. Pour la gamme des bleus, on dénombre ainsi une vingtaine de termes, du bleu beau au bleu pâle, en passant par le bleu naissant et le bleu mignon. L’onomastique des couleurs n’intéresse guère Diderot. Sans doute, cette inventivité lexicale-là, par ses afféteries, s’éloigne de la poésie de la technique recherchée par Diderot5454On forge l’expression « poésie de la technique » sur le modèle de la « poésie du style » recherchée généralement par Diderot. Voir Élise Pavy-Guilbert, « Trouver l’expression singulière », in L’Image et la Langue, op. cit., p. 339-349.. Et par poésie de la technique, on vise la manière dont la connaissance des techniques est susceptible d’informer l’évaluation des arts en général en modifiant progressivement et en bousculant les structures de l’entendement, précisément par la mise en valeur de lois communes. À quelques mots près, ce sont les intentions exposées par Diderot dans l’article « Art » de l’Encyclopédie visant à corriger la distinction entre les arts libéraux et les arts mécaniques, distinction jugée trop réductrice. À ce titre, le champ de la technique, plus particulièrement des techniques textiles, apparaît là encore comme un modèle particulièrement suggestif et prometteur dans l’Encyclopédie5555Voir à ce sujet Jean-Luc Martine, « L’article “Art” de Diderot : machine et pensée pratique », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, no 39, 2005, p. 1-32. Dans l’introduction de son article, Jean-Luc Martine note que les articles dédiés aux arts textiles sont parmi les plus longs de l’Encyclopédie., mais dans les écrits sur l’art, au sens d’art libéral. L’observation de gestes communs et de pratiques semblables entre la peinture et les arts du textile oriente le cours de la description des Salons, elle relance l’écriture sans prédéterminer exclusivement le goût. La mise en valeur d’une loi commune agit telle une idée médiatrice, un présupposé plus affectif que théorique, qui ne fait pas l’objet d’une démonstration à la manière des allusions scientifiques visant les causes des phénomènes en les réduisant à leur origine chimique ou composite. Un éventuel principe du revêtement n’est donc pas à découvrir au sens où il révèlerait un ordre simplifié et absolu des phénomènes, facilitant la connaissance des choses telles qu’on les voit. La mise en évidence d’un parallèle entre peinture et arts du textile n’affermit pas véritablement cet esprit positif et proprement encyclopédique des arts, du moins, il en révèle assez rapidement les limites. Au contraire, il corrige et déplace les bornes de la raison et du jugement sur les arts comme sur les techniques en conservant et en valorisant la part irréductible d’une rêverie sur la matière et les gestes.

Le revêtement ou la mise en évidence d’une unité matérielle entre les arts

La figure de l’artisan des Gobelins, tout à la fois teinturier et maître en tapisserie, éclaire cette inflexion. Elle est citée ici par Diderot pour accentuer la vacuité de certaines querelles propres à la peinture, notamment l’opposition cardinale entre peinture d’histoire et peinture de genre :

Les peintres de genre et les peintres d’histoire n’avouent pas nettement le mépris qu’ils se portent réciproquement ; mais on le devine. Ceux-ci regardent les premiers comme des têtes étroites, sans idées, sans poésie, sans grandeur, sans élévation, sans génie, qui vont se traînant servilement d’après la nature qu’ils n’osent perdre un moment de vue. Pauvres copistes qu’ils compareraient volontiers à notre artisan des Gobelins qui va choisissant ses brins de laine les uns après les autres, pour en former la vraie nuance du tableau de l’homme sublime qu’il a derrière le dos5656Denis Diderot, Essais sur la peinture, op. cit., p. 65-66..

La suite du texte développe les raisons de la querelle entre le peintre de genre et le peintre d’histoire, querelle dont Diderot exagère l’importance pour mieux interroger le fondement et la pertinence d’une hiérarchie des genres. À cet égard, le peintre de genre est comparé à l’artisan des Gobelins, au teinturier-tapissier. « Notre artisan » dit-il. La marque de familiarité rappelle immanquablement la tonalité satirique usuelle rattachée à toute mention de la tapisserie ou de la teinture, notamment lorsqu’elle est rapprochée de la peinture5757Voir supra, n. 41.. Mais est-ce vraiment l’aspect besogneux et servile du teinturier qui est mis ici en exergue ? Peut-être, si l’on considère cette tâche fastidieuse revenant à accorder chaque brin de laine au modèle établi par le carton, qui guidera ensuite le tissage de la tapisserie. Mais cette première interprétation est contredite par la mention du sublime, incongrue dans ce contexte, mention suffisamment étonnante sous la plume de Diderot pour ne pas être réduite à une nouvelle marque d’ironie. En se référant à la typologie des usages diderotiens du sublime, établie par Jan Blanc5858Jan Blanc, « Diderot et le sublime d’écrivain », in Stéphane Lojkine, Adrien Paschoud et Barbara Selmeci Castioni (dir.), Diderot et le temps, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2016, p. 233-254., ainsi qu’à la connaissance des théories anglaises du sublime, notamment celle de Burke que maîtrisait Diderot5959Gita May, « Diderot and Burke. A Study in Aesthetic Affinity », PMLA, vol. 75, no 5, 1960, p. 527-539., l’évocation piquante de l’artisan face à l’homme sublime fait ici plutôt référence au caractère singulier du modèle. Et cette singularité résonne avec l’inflexion apportée au terme de nuance, celui de la vraie nuance. Vraie non pas au sens où elle imiterait parfaitement la nature, mais plutôt au sens où elle serait juste, au sens où elle susciterait des effets sensibles. Et ce critère de justesse, tout intérieur, serait relatif au savoir du teinturier. Ainsi, ce n’est pas tant sur la qualité de copiste du teinturier tapissier qu’insiste Diderot, qualité sans doute écartée par la référence au métier de haute-lisse, où le dessin cartonné se situe derrière l’artisan, donc non immédiatement visible, si ce n’est par réflexion, mais à une inventivité proprement technique. La comparaison entre la peinture et les arts du textile dépasse dans une certaine mesure certaines apories des Salons précédents6060Denis Diderot, Salon de 1763, op. cit. p. 212-213, puisque le matériau et plus largement la technique, ne sont plus un obstacle au développement du discours, mais le levier d’une autre approche de la picturalité. La connaissance technique, en particulier la connaissance textile et en ce sens « l’esprit de l’Encyclopédie », instruisent Diderot et lui permettent, à la lettre, d’étoffer ses remarques sur la peinture en considérant le faire, les gestes présidant à l’élaboration de l’œuvre, gestes effectifs ou imaginaires, comme relevant pleinement de son expérience. Le mystère de la peinture ne se confond plus avec ce qu’il y a d’irréductible au dicible, mais avec cette rêverie suscitée par l’unicité d’une « loi » identique pour tous les arts et par ses potentialités : c’est partout la même dit encore Diderot.

Face au caractère indiscernable et indicible de certains aspects de la peinture, les nuances par exemple, il ne faut pas renoncer à évoquer ce faire, mais le transposer et mettre en évidence sa singularité par la description ou la suggestion d’un faire alternatif. Tout comme les couleurs s’associent et se répondent, il en va de même des gestes, par-delà les distinctions de métier et d’art. Et cette continuité des gestes fait écho à la mise en évidence d’éléments fondamentaux de la matière — le filament, le sédiment, le linge— à l’origine de certains arts — la verrerie, la papeterie — dont Diderot ambitionne de reconstituer l’histoire, sans les œillères des suppositions vagues, ni le recours à une vaine mythologie. Le principe du textile défini par la combinaison de fibres est encore celui qui est mobilisé pour expliquer la division et la recombinaison de la matière en éléments plus complexes.

Si l’on ignorait l’origine & les progrès de la Verrerie ou de la Papeterie, que ferait un philosophe qui se proposerait d’écrire l’histoire de ces Arts ? Il supposerait qu’un morceau de linge est tombé par hasard dans un vaisseau plein d’eau ; qu’il y a séjourné assez longtemps pour s’y dissoudre ; & qu’au lieu de trouver au fond du vaisseau, quand il a été vide, un morceau de linge, on n’a plus aperçu qu’une espèce de sédiment, dont on aurait eu bien de la peine à reconnaître la nature, sans quelques filaments qui restaient & qui indiquaient que la matière première de ce sédiment avait été auparavant sous la forme de linge6161Denis Diderot, s. v. « Art », in Encyclopédie, op. cit., vol. I, 1751, p. 713b-717b..

Le principe du revêtement renforce et enrichit encore l’inventivité de l’écriture, loin de cette « paresse naturelle, qui ne nous portait déjà que trop à croire que donner une application constante & suivie à des expériences & à des objets particuliers, sensibles & matériels, c’était déroger à la dignité de l’esprit6262Ibid., p. 714. ». Toutes les expériences n’obéissent cependant pas à la même loi. Dès lors que le revêtement admet une tournure personnelle et se fait vêtement, dès lors qu’il engage le corps de façon plus vive, l’expérience sensible corrige l’application rationnelle sans pour autant totalement la nier, mais en renonçant néanmoins au principe méthodologique cartésien fondé sur la division du simple et la recombinaison d’éléments simples en ensembles complexes. Décomposer le vêtement en fibres rend compte de sa fabrication, mais son expérience échappe à une telle volonté de connaissance. Seul le récit de l’expérience rend compte de la tonalité du concret, seule une robe de chambre peut conférer au principe du revêtement sa validité complète.

Revêtir sa robe de chambre

Écrire sur sa vieille robe de chambre, décrire l’usure

La robe de chambre est l’uniforme des personnages du Salon. Elle habille le peintre inspiré comme le philosophe au travail. Elle habille en premier lieu Diderot lui-même, comme il le rapporte dans l’essai intitulé Regrets sur ma vieille robe de chambre. Ce récit, à première vue anecdotique6363Dans son article, Samuel Sadaune insiste bien sur les conditions de publication assez obscures de cet opuscule qui rendent difficiles son interprétation et sa classification dans l’œuvre de Diderot. S’agit-il d’une plaisanterie d’écriture ou d’un addendum au Salon de 1769 en raison de la mention d’un tableau d’Horace Vernet ? Ces hésitations sont visibles dans les choix éditoriaux effectués lors de la publication des œuvres de Diderot. Laurent Versini intègre les Regrets au sein du tome sur les essais esthétiques et les écrits sur l’art, en guise d’introduction au Salon de 1769 ; Gita May, en revanche, exclut ce texte dans sa version des Salons pour les éditions Hermann. Voir Samuel Sadaune, « L’ouverture excentrique du Salon de 1769 ou portrait du Philosophe en robe de chambre », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, no 35, 2003, p. 7-23. Par ailleurs, la singularité du texte se prête à d’autres interprétations, notamment morales et économiques, en comprenant le texte comme un pamphlet qui utiliserait les voies détournées de la fiction pour critiquer le luxe. Voir par exemple Audrey Provost, « Les usages du luxe. Enjeux d’un débat au XVIIIe siècle », in Olivier Assouly (dir.), Le luxe. Essais sur la fabrique de l’ostentation, Paris, Éditions du Regard / IFM, 2005, p. 69-83., sorte de longue digression à partir de l’emblème du style négligé, permet à l’auteur de tenir un ensemble de considérations sur la peinture et sur le théâtre, assorties d’une critique du luxe6464Sur le thème du luxe au temps des Lumières, entre critique du somptuaire et défense du confort, la bibliographie est abondante. Nous indiquons uniquement quelques ouvrages de référence, eux-mêmes pourvus de riches indications de lecture : Philippe Perrot, Le luxe. Une richesse entre faste et confort (XVIIIe – XIXe siècle), Paris, Seuil, 1995 ; Daniel Roche, « L’esthétique morale vestimentaire de Diderot », in La culture des apparences. Une histoire du vêtement, XVIIe – XVIIIe siècle, Paris, Seuil / Points, 2007, p. 428-430.. Critique du luxe qui est en général le motif allégué pour expliquer l’intérêt de Diderot pour cet accessoire. Mais parallèlement à cette critique en règle mais non dogmatique, de la richesse et des dépenses inutiles, se profile un éloge de l’usure :

Pourquoi ne l’avoir pas gardée ? elle était faite à moi, j’étais fait à elle. Elle moulait tous les plus de mon corps sans le gêner. J’étais pittoresque et beau. L’autre, roide, empesée, me mannequine. Il n’y avait aucun besoin auquel sa complaisance ne se prêtât, car l’indigence est presque toujours officieuse. Un livre était-il couvert de poussière ? un de ses pans s’offrait à l’essuyer. L’encre épaisse refusait-elle de couler de ma plume ? elle présentait le flanc. On y voyait tracés en longues raies noires les fréquents services qu’elle m’avait rendus6565Denis Diderot, Regrets sur ma vieille robe de chambre, in Œuvres, t. IV, Esthétique – Théâtre, op. cit., p. 820..

Bien que l’usure soit cette « inéluctable détérioration d’une chose par suite de l’usage prolongé qui en est fait6666Michel Guérin, « Du bon usage de l’usure (réflexions sur la durabilité des œuvres) », in Pierre Baumann et Amélie de Beauffort (dir.), L’usure. Excès d’usages et bénéfices de l’art, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux / Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, 2016, p. 37. », elle signifie moins la disparition d’un objet chéri que son adaptation presque amicale au mode d’existence de l’utilisateur. La véritable perte est du côté de la nouveauté, du renouvellement qui entraîne immanquablement l’élimination de l’objet encombrant, usé car hors d’usage. Inutilisable. Plus précisément, la nouveauté est synonyme de perte, car perte d’une habitude qui entraîne un certain éloignement. L’objet neuf est profondément étranger à soi. Pis, il donne le sentiment de devenir étranger à soi-même en transformant la perception de son corps propre en l’objectivant, c’est-à-dire en le transformant en corps altéré, presque artificiel : « L’autre roide et empesée me mannequine6767Sur le corps artificiel et le simulacre, voir Marie-Irène Igelmann, « La métaphore du mannequin chez Diderot », op. cit.. »

Au contraire, la robe de chambre, usée et sale, est familière, elle conserve l’empreinte du corps de Diderot, elle est un abri à la mesure de celui qui l’habite. Cette familiarité est redoublée par les interactions entre l’écrivain et l’objet qui ne se limitent pas à l’enveloppement. La robe de chambre est garante de l’identité de Diderot. Mais pas d’une identité fixe, stable, immuable, statutaire en quelque sorte, contrairement à l’habit neuf (« À présent, j’ai l’air d’un riche fainéant »). L’identité est modelée sur l’activité et sur les traces qu’elle laisse : raies noires d’encre, poussière, frottement, etc. Chakè Matossian le résume bien :

La robe de chambre semble un être vivant (« elle offre le flanc »), elle double l’écrivain en exposant les traces de l’écriture, elle absorbe l’encre et y mélange la poussière, reçoit encore « les éclats du feu » et « la chute de l’eau ». C’est un réceptacle et un révélateur. Brûlé, taché, mouillé, troué, sali, poussiéreux, ce tissu désigne les gestes qui sous-tendent l’œuvre, la liberté du geste6868Chakè Matossian, « Plis et replis de l’usure : l’inachèvement à l’œuvre », in Pierre Baumann et Amélie de Beauffort (dir.), L’usure, op. cit., p. 49-50..

L’usure admet une tonalité créative chez Diderot, au moins par analogie, puisque l’écrivain écrit deux fois son œuvre : sur le papier et accidentellement, sur le tissu maculé par le travail de la plume. Quitte à pousser cette analogie aux limites de la métamorphose. Couvert de cette robe de chambre rayée et empâtée, c’est Diderot lui-même qui devient pittoresque (« je deviens pittoresque »), ce qui dans la langue du XVIIIe siècle, comme le rappelle Furetière, renvoie directement à la peinture. Se crée au sein du texte un étrange effet d’enchâssement, entre réalité et toile, comme le note Samuel Sadaune : la description de la robe de chambre semble répondre aux effets d’un tableau de Vernet6969Samuel Sadaune, « L’ouverture excentrique du Salon de 1769 », op.cit., p. 17 : « La longue description qui occupe […] la “première partie” des Regrets, […], est de ce fait un tableau : une gigantesque toile […]. À ce premier tableau en succède un autre encore plus étonnant : véritable toile dans la toile, il se présente sous la forme d’une œuvre de Vernet, La Tempête […]. ». Les conclusions de cette expérience sont limpides : le pli visible s’apparente au sentiment indirect du corps. L’usure du vêtement permet d’oublier la contrainte, aussi insignifiante soit-elle, de la robe de chambre ; on n’y prête qu’une attention subsidiaire puisqu’elle est parfaitement adéquate au corps. De l’usure dérive l’expérience du confort. De l’usure, dérive également une forme d’appréciation esthétique, liée à l’expressivité des plis de la robe de chambre. La comparaison entre « les Regrets » et un extrait du Salon, non celui portant sur les œuvres de Vernet mais celui évoquant un tableau désormais perdu, représentant le père de Diderot, est éclairante de ce point de vue :

Il n’y aurait rien de si ridicule qu’un homme peint en habit neuf au sortir de chez son tailleur, ce tailleur fût-il le plus habile de son temps. Mieux un habit collerait sur les membres, plus la figure aurait la figure d’un homme de bois. Outre ce que le peintre perdrait du côté de la variété des formes et des lumières qui naissent des plis et du chiffonnage des vieux habits, il y a encore une raison qui agit en nous sans que nous nous en apercevions, c’est qu’un habit n’est neuf que pendant quelques jours et qu’il est vieux pendant longtemps, et qu’il faut prendre les choses dans l’état qu’elles ont d’une manière la plus durable. D’ailleurs il y a dans un habit vieux une multitude infinie de petits accidents intéressants, de la poudre, des boutons manquants et tout ce qui tient de l’user, tous ces accidents rendus réveillent autant d’idées et servent à lier les différentes parties de l’ajustement ; il faut de la poudre pour lier la perruque avec l’habit7070Denis Diderot, Essais sur la peinture, op. cit., p. 36-37.

Après avoir critiqué l’habit « collant » au motif que son absence d’amplitude exclurait le caractère de variation des formes et donc une expression authentique, Diderot poursuit sa critique du vêtement moderne en vantant les mérites de l’habit vieux. Il entame un éloge des plis, détaché de toute allusion aux principes académiques, mais nourri d’une rêverie sur le chiffonnage, les boursoufflures, les volumes et autres marques résultant du revêtement, c’est‑à‑dire de l’action de revêtir. La valeur d’usage s’associe indéniablement à une valeur esthétique, puisque « tous ces petits accidents intéressants […] réveillent autant d’idées ». Ils sollicitent l’imagination et engagent une forme de réflexion, moins sur la technique que sur les effets du temps. L’usure introduit un nouveau rapport à la temporalité, temporalité indépendante de la représentation d’une action. C’est le temps vécu qui s’impose, temps vécu dont le corps vêtu expose les marques. Par conséquent, le pli ne s’apparente guère plus à un attribut du corps, de sa présence couplée à sa puissance physique, au sens d’une trace indirecte de son dynamisme. Le pli ne dénote pas un support, ni la cause indirecte d’un mouvement comme on pouvait le lire dans les traités sur le drapé. L’accident stipulé par Diderot n’est pas lié à une cause surnaturelle mais à un accident au sens d’un événement anodin, à peine visible, trivial sur le plan de la représentation, mais essentiel sur le plan de la réception. L’anodin vient polariser la contemplation et redéfinir ses enjeux, mais aussi le sujet de la peinture.

Le lustre du vêtement usé où se miroite la réflexion

Le pli montre l’usure du vêtement, il expose « l’altération des choses qui se fait par l’usage » selon Furetière, effet solidaire d’une appréciation positive. Chez Furetière toujours, l’usure confère au vêtement ou à toute pièce d’étoffe un lustre plaisant : « il y a des draps qui sont plus beaux à l’user, qui s’embellissent quand on les a portés quelques temps. » C’est ce que l’on pourrait appeler, certes de manière anachronique, en se référant aux termes d’Aloïs Riegl : une valeur d’ancienneté7171Sur la valeur d’ancienneté (Alterswert), voir Aloïs Riegl, Le culte moderne des monuments, son essence, sa genèse, trad. fr. Daniel Wieczorek, Paris, Seuil, 2013. L’ancienneté correspond au typique ou à l’authentique. L’idée d’authenticité transparaît dans les propos de Diderot sur sa robe de chambre.. Mais l’éloge de l’usure vestimentaire chez Diderot ne reproduit pas seulement ce qui s’appliquait à l’architecture sous la forme d’une poétique des ruines. « Le temps, ce grand sculpteur7272Marguerite Yourcenar, « Le Temps, ce grand sculpteur », in Essais et Mémoires, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1983, p. 312. » selon cette belle expression de Marguerite Yourcenar, n’est pas le seul artiste. La valeur esthétique de l’usure se double d’une autre valeur, valeur poïétique celle de représenter l’usure, là aussi moins au sens de détérioration qu’au sens d’altération cette fois du corps. « Les petits accidents » dont parle Diderot ne sont pas simplement les défauts du vêtement, mais aussi les petits accidents du corps ou de ce que l’on applique sur le corps (« la poudre »), au sens de résidu, ce qui reste sur le vêtement. Dès lors, les plis de l’habit admettent une nouvelle fonction, celle de subir l’usure suite aux frottements avec le corps, mais aussi celle de représenter, de manière indirecte, l’usure du corps en la recueillant dans ces cavités du vêtement. La poudre de talc appliquée sur le visage et le cou n’étant que, de façon métonymique, un signe de l’altération générale du corps au sens où sa mue est perpétuelle et continue.

S’interrogeant sur les effets provoqués par la perte d’un vêtement cher, Diderot renonce à toute explication, aussi technique soit-elle, au profit de la littérature, c’est-à-dire d’un récit qui matérialise, au fur et à mesure de sa progression, le cours d’une pensée. L’intérêt des petits plis et des petits accidents échappe à toute forme de raisonnement causal ou d’élaboration théorique. Elle sollicite néanmoins une réflexion solidaire d’un style ou d’un phrasé qui en exprime la teneur. Toute formalisation du principe de revêtement est absente du texte de Diderot. Néanmoins à la lecture des « Regrets » une remarque s’impose : l’étude du vêtement se trame avec celle du revêtement, le préfixe suggérant un effort de l’attention. Comme si ce que l’on porte engageait une disposition de la réflexion, un certain retour à soi.


Rétive à toute forme de généralisation excessive, l’étude conjointe de l’imaginaire de l’étoffe, déclinée sur le plan de la représentation, de la technique et de l’expérience esthétique et du revêtement, produisent un certain nombre de paradoxes que Diderot affronte en convoquant des moyens irréconciliables. Tour à tour norme artistique subvertie en permanence, instrument heuristique œuvrant à la réorganisation des savoirs et des hiérarchies disciplinaires et objet-limite de l’écriture, le revêtement s’apparente à une idée médiatrice singulière ourlant les textes de Diderot. Il est bien revêtement avant le revêtement, principe agissant à l’insu de l’auteur, par plis et replis successifs de la pensée.

Bibliographie

Sources principales

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Auteur

Ancienne élève de l’École Normale Supérieure de Lyon et agrégée de philosophie, Marie Schiele a soutenu une thèse de philosophie de l’art et d’esthétique sous la direction de Marianne Massin, intitulée Le drapé ou le vêtement infini. Enquête philosophique sur l’imaginaire du drapé dans les images, les textes et les objets de l’âge classique à l’époque contemporaine. Au cours de ce travail, elle s’est particulièrement intéressée à la circulation du motif du drapé entre les arts et au statut contrasté de la représentation dans toute tentative de théorisation du vêtement. Lauréate d’une bourse de recherche de la Max Weber Stiftung (2022-2024), elle a poursuivi ses recherches sur le vêtement dans le cadre d’un projet postdoctoral sur les métaphores textiles et l’écriture de la matérialité chez Diderot, mené au Centre allemand d’histoire de l’art sous la direction de Peter Geimer et Georges Didi-Huberman. Depuis septembre 2024, elle est ATER dans le département de philosophie de Sorbonne Université.

Crédits des images

fig. 1 : Photographie : Musée des beaux-arts d’Orléans.

fig. 2 : ENCCRE (licence CC BY-NC-ND 3.0 FR).

Pour citer cet article

Marie Schiele, « Le revêtement avant le revêtement. L’imaginaire de l’étoffe dans les Salons de Diderot », KUNST, no 01, décembre 2024, en ligne.

URL : https://kunst-revue.org/recherche/01/schiele

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